L’arrêt Bosman ou l’histoire d’une hyper-libéralisation pavée de bonnes intentions…

Pour les 20 ans de cette décision nous avons choisi de revenir sur les motivations et les éléments peu ou pas mis en avant lorsqu’elle est évoquée. Nous ne répéterons pas ici les éléments qui ont donné lieu à d’abondants commentaires.

L’arrêt Bosman ou l’histoire d’une hyper-libéralisation pavée de bonnes intentions…

L’objet du litige : Le joueur du Standard de Liège, Bosman, conteste la conformité des clauses de nationalité et de transfert de l’Union Royale Belge des sociétés de football association (ASBL). Une précision importante toutefois, l’arrêt Bosman ne concerne pas le régime des transferts que l’on connaît actuellement mais celui des changements de club des joueurs à l’expiration de leur contrat.

 

Les motifs juridiques : Une occasion de dire le droit Il s’agit ici de mettre en lumière les motifs déterminants de la décision. Il est capital de noter que de l’aveu de l’avocat général lui-même, la réglementation n’avait pas par elle-même porté atteinte à la situation de M. Bosman. Mais il a fondé son recours sur l’éventualité d’une atteinte future du fait de la réglementation de l’homologue belge de la Ligue Professionnelle de Football française. La Cour de justice de l’Union Européenne a donc accepté d’étudier un dommage éventuel…

 

Ce même avocat général affirme d’ailleurs dans ses travaux préparatoires que la formation de jugement disposait de la faculté de rejeter ce recours pour irrecevabilité. Mais si les conclusions de M. Lenz ont convaincu les juges, son argumentation est néanmoins critiquable. Tout d’abord, il se prononce pour la recevabilité de la requête en invitant les juges à la considérer favorablement.

 

S’il avance des arguments juridiques, il s’appuie fortement sur le caractère opportun de statuer sur le litige. En effet, selon lui, les ligues et fédérations nationales pèseraient pour empêcher que la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE devenu CJUE depuis 2009) ne se prononce sur les clauses de nationalité en vigueur dans les championnats européens de football.

 

En simplifiant, il s’agissait de l’occasion ou jamais d’indiquer si ces clauses étaient légales. Cet argument de « l’urgence » est renforcé par un élément incontestable : le décalage entre le temps judiciaire et le temps sportif. Sous-entendu, plus la Cour attend pour se saisir du problème, plus d’éventuels préjudices et violations du traite instituant la Communauté économique européenne, ou traité CE, se produiront. Une lecture extensive de l’article 48 du TCE La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés Européennes ne permettait pas de fonder de manière évidente une censure du règlement sur les transferts. La Cour a donc suivi l’avocat Général Lenz pour opérer à cette dernière. Elle a ainsi consacré une interprétation extensive, « dépassant l’approche traditionnelle » (1) de l’article 48 du TCE.

 

Les justifications principales ayant mené à cette prise de position sont de deux ordres. La première étant que l’article 48 devrait faire l’objet d’une interprétation large et qu’il ne se bornerait pas à interdire les discriminations basées sur la nationalité mais toute entrave à la libre circulation. Une réglementation pouvait être déclarée contraire à l’article 48 non seulement parce qu’elle est discriminatoire dans son texte mais aussi lorsqu’elle a pour effet d’entraver la libre circulation des ressortissants de la communauté européenne. La seconde est la volonté d’unifier le régime des libertés en alignant la libre circulation des personnes avec celles des marchandises et celle des capitaux… Le refus d’exemption au titre de l’article 85 : La position de l’avocat général dans ses conclusions est on ne peut plus claire : « Il est parfaitement clair que les règles que nous avons à connaître ont pour effet de restreindre la concurrence au sens de l’article 85 §1 […] Les clauses de nationalité entament les possibilités des clubs de se concurrencer par les joueurs qu’ils alignent.[…] Les règles de transferts substituent au régime normal de l’offre et de la demande un mécanisme uniforme qui aboutit à conserver la situation concurrentielle existante… » Cette affirmation n’est corroborée par aucun élément.

 

Toutefois, il apparaît clairement que les différentes ligues ont adopté un régime quasiment similaire concernant les transferts ou les clauses de nationalité. Mais cette entente caractérisée aurait pu faire l’objet d’une exemption au titre du paragraphe 3 de l’article 85. Ce qui aurait permis de conserver le statu quo plutôt que d’affranchir les clubs de cadre s’appliquant aux transferts et au nombre d’étrangers par club. La Cour a également suivi son avocat général en refusant de considérer ces règlements comme une entente indispensable à la conservation d’une concurrence.

 

Les suites de l’arrêt ne se sont pas fait attendre et se font sentir encore de nos jours. De l’ère du long terme à l’ère de l’instabilité : L’arrêt Bosman a remis en cause des réglementations qui se voulaient résolument protectionnistes. Ces dernières avaient un impact car la mentalité des acteurs du football de l’époque était totalement différente. En effet, les clauses de transfert produisaient des effets car les joueurs arrivaient souvent au terme de leur contrat. Ce qui est désormais bien plus rare. De plus, si ces clauses étaient critiquables en ce qui concerne leur efficacité, elles avaient bien pour but d’assurer une répartition uniforme des ressources et dans le même temps d’éviter une inflation des prix. Le montant des transferts étaient prédéterminé par une sorte de grille. C’est à dire qu’à caractéristiques égales (salaire, durée passée dans le club, âge…), l’indemnité de transfert était la même. Cette grille représentait donc une base de calcul, même si les clubs pouvaient aller au-delà.

 

Toutefois l’arrêt Bosman est juste une confirmation et, en réalité, il est même logique. En 1974(2), la CJCE a décidé qu’il fallait considérer le football comme une activité économique quelconque. Dès lors, les juges de la CJCE ont tiré les conséquences de cette prise de position en appliquant strictement le droit communautaire. Or le but de celui-ci est simple, c’est la création d’un espace commun, une libéralisation des échanges qui ne doit être restreinte qu’à de très rares exceptions. L’analyse du marché des transferts et de la composition des effectifs en Europe permet de dire que c’est à une hyper-libéralisation qu’ on a assisté depuis les (dé)réglementations faisant suite à l’arrêt Bosman.

 

Dès l’introduction du premier recours de M. Bosman en 1990 à 2014, la proportion de joueurs étrangers dans le championnat de France de Ligue 1 a doublé. Transferts Sur le plan européen maintenant, c’est le volume des transactions mais surtout le montant total des transactions qui a explosé. Tempéraments et actualités : Il convient de tempérer l’impact de la décision qui nous intéresse du point de vue de l’accès des joueurs nationaux. Le premier point important est que le football était déjà internationalisé avant l’arrêt Bosman, que ce soit seulement sur le plan juridique ou dans les faits.

 

Ainsi, la Première Division belge comptait 175 étrangers sur ses 398 joueurs (soit 44%). Avant même cette décision, l’Angleterre ne considérait pas comme étrangers les ressortissants du Royaume-Uni et en Écosse il n’existait aucune limitation de joueurs étrangers. Ensuite, l’impact ne s’est pas forcément réalisé au détriment des joueurs nationaux comme l’exemple de la Premier League anglaise le laisse penser. En France, même si la part de joueurs français diminue par rapport à l’ensemble, le nombre de joueurs français reste relativement stable (340 en 1980, 322 en 2014) mais les effectifs se sont élargis.

 

C’est donc le nombre de joueurs qui a fortement augmenté avec un effectif total passant de 453 à 539 joueurs de 1990 à 2014. La ligue 1 a donc continué à former autant de joueurs pour son propre championnat… Cependant comme tous les autres grands championnats Européen, la Ligue 1 a vue son nombre de joueurs étrangers explosé : Etranger championnat S’agissant de l’actualité de l’arrêt Bosman et de ses prolongements(3) qui ont élargi la zone de non-discrimination, on citera les règlements et décisions qui leur font écho. Ainsi, le Code du Sport a-t-il consacré la règle du joueur formé localement en 2012 à son article L.131-16. Disposition qui a été validée par le Conseil d’État dans la foulée(4). Surtout, l’actualité de cet arrêt se traduit sur le terrain par l’accroissement des inégalités alors même que son objectif était de permettre de les réduire. Le recul nous permet de voir que la libre concurrence n’a jamais permis de créer une situation stable dans le football européen et mondial.

 

Surtout en soumettant le sport à la logique de marché elle a réduit sa variété et ses incertitudes. Nous ne pouvons traiter ici ce sujet de manière complète. Il fera prochainement l’objet d’un article plus approfondi sur le recul de la concurrence dans le football européen… 

(1) Point 196 des Conclusions de M.Carl Otto LENZ, affaire C 415-93.

(2) Cour de justice des Communautés européennes, 12 décembre 1974, affaire 36-74, Walrave et Koch.

(3) CJCE, 8 Mai 2003, affaire C-438/00, Kolpak. Puis CJCE,12 avril 2005 affaire C-265/03.

(4) Conseil d’État, 8 mars 2012, n° 343273, Association Racing Club de Cannes Volley.